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Dans l’atelier de Sylvie : chaque fleur en tissu renferme un souvenir précieux

  • Photo du rédacteur: bonjourlesartisane
    bonjourlesartisane
  • 29 juin
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 juil.

Sors ton paquet de mouchoirs, car cette interview va t’émouvoir aux larmes.


Il est parfois difficile de tourner la page, de dire au revoir à une époque… ou de dire au revoir tout court, à un être cher. On voudrait garder ces souvenirs en mémoire chaque sourire, chaque rire, chaque instant partagé. Mais avec le temps, ils s’effacent, s’enfuient, s’envolent pour notre plus grande peine.


Et s’il était possible de conserver ces souvenirs pour toujours, dans la délicatesse d’une fleur ?



Pour commencer, je te propose de te présenter de la manière dont tu le souhaites ? Qui es-tu ? Qui se cache derrière VieVie ?

La créatrice de fleurs en tissu quand elle était jeune
Sylvie à l’école Estienne à 15 ou 16 ans

Je m’appelle Sylvie et je vais avoir 40 ans cette année.


J'ai toujours baigné dans un milieu créatif. Ma mère était couturière professionnelle. Et moi je dessinais beaucoup et surtout je faisais beaucoup de pliage/collage étant enfant.


Ensuite, j'ai fait un bac en Arts Appliqués à l'école Estienne. Ça m'a ouvert plein d'horizon, peut-être trop, tellement que je ne savais pas vers quel domaine me tourner !


Comme je voulais faire des choses de mes mains, je me suis tournée vers la céramique, mais comme je trouvais que c'était trop spécifique, j'ai choisi de faire du design de produits à l'ENSAAMA parce que c'était plus généraliste.


Ce que je préférais par-dessus tout, c'était de trouver des idées qui sortent de l'ordinaire et qui répondent à de vrais problèmes. J'ai alors voulu faire de l'innovation et j'ai terminé mes études en école d'ingénieur à l’école des Arts et Métiers.


Ensuite, pendant une dizaine d'années, j'ai travaillé principalement dans des cabinets de conseils pour améliorer des services ou des produits digitaux avant de créer Vie Vie.


Finalement, c'est mon projet de vie. Il est né de deux événements forts qui sont la naissance de ma fille et le décès de mon père. Toutes les compétences que j'ai apprises, je m'en sers aujourd'hui, même celles en céramique !



Ton nom de marque, Vie Vie, est chargé de sens. Il sonne comme un souffle, une mémoire, une tendresse. Peux-tu nous raconter ce qu’il signifie pour toi ?

Quand j'ai cherché un nom pour ma marque, je cherchais un nom qui symbolise la  “renaissance” puisque je fais ce qu'on appelle de l'upcycling, car je transforme des vêtements dans une forme toute autre.


Puis, j'ai pensé à mon surnom quand j'étais enfant “vivi”. C'est devenu une évidence de répéter le mot “vie” pour donner une seconde vie à des vêtements.


Les premières fois que les clients m'ont appelée ainsi, ça m'a fait bizarre !



Alors Sylvie, tu crées des fleurs inspirées de l’art japonais, avec des tissus qui appartiennent ou ont appartenu à des êtres chers. Des bouts de vie, des morceaux d’histoires, transformés en bouquets éternels, « porteurs d’un lien familial », pour te citer. Qu’est-ce qui t’a menée vers cette manière si singulière de créer ?

La fille de la créatrice de fleur en tissu fait main bébé porté par son papi
Papa de Sylvie et sa fille quand elle était bébé

Deux événements majeurs ont bouleversé ma vie ces 5 dernières années : la naissance de ma fille et le décès de mon père.


Cela m'a fait prendre du recul sur mon envie de retrouver un métier manuel et qui soit aligné avec mes valeurs familiales et écologiques.


Avec le deuil de mon père, voir ma fille grandir m’a fait prendre davantage conscience de la vie et qu’il faut savourer l’instant présent.


Ma fille sans le vouloir m’a poussé à faire ce que je fais aujourd’hui. Quand elle devait avoir 2 ou 3 ans, elle me faisait toujours une espèce de “grève” en me voyant travailler sur un ordinateur.


Puis elle m’imitait avec un regard vide à taper sur un clavier imaginaire. Cela m’a fait comme un électrochoc.


Quand je me mettais à des activités artistiques, ça l'intéressait et on avait un vrai échange et une vraie interaction.


Mon mari m’y a poussé aussi, il sentait que j’avais besoin de revenir à un métier créatif et m’y a encouragé.


Comme j'aimais réfléchir à des problèmes et trouver des solutions, j'ai réfléchi à une  des problématiques de notre famille après le décès de mon père : “que faire des affaires de mon père que ma mère garde”.

La créatrice artisanale qui crée avec des fleurs dans des tissus upcyclés avec sa maman
Maman de Sylvie et Sylvie en train de faire une peluche avec du tissus cambodgien de son oncle et des affaires de sa maman

Cela m'a amené à faire des recherches sur les coutumes dans le monde et à me mettre sérieusement à la couture, à faire des couvertures ou des peluches, d'abord avec des affaires de ma fille ou de personnes bien en vie, car cela me faisait “moins peur”.


Puis un jour j'ai décidé de ne plus suivre ce qui se fait, pour répondre à mon envie de fabriquer des fleurs en tissu.


J’ai pensé à nos mariages asiatiques, les invités recevaient une broche de fleurs en souvenir et je me disais : "Que en faire avec les chemises de mon père aurait été un beau souvenir pour les personnes de la famille".


Ma mère avait gardé quelques-unes de ces broches de mariage et j'ai le souvenir d’avoir joué avec étant petite.



Des fleurs en papier posé sur un miroir ancien
Quelques broches de mariage que sa maman garde sur son miroir

J’ai cherché des sources pour apprendre à en faire et j’ai découvert le Somebana, qui est l’art japonais de faire des fleurs en soie.


J’ai découvert qu’en France au 19e siècle, c’était très répandu mais qu’au Japon, ils l’ont fait perdurer et ont développé des outils plus modernes.


J’ai trouvé cela dommage qu’en France cela soit tombé en désuétude parce qu’on ne porte plus de chapeaux et aussi que cela ne soit réservé qu’à la soie. Nous n'avons pas tous de la soie, et un vêtement, peu importe qu’il soit en coton ou en soie, a autant de valeur sentimentale pour quelqu’un.


Je me suis donc entraînée sur des affaires de mon oncle qui se débarrassait de cravates et je prenais tellement plus de plaisir à faire des fleurs comparé à la couture en machine. Quand je me suis sentie enfin prête, j'ai fabriqué et offert un bouquet de chemises de mon père à ma mère et à mes frères. Ma mère a toujours été exigeante mais quand j'ai vu son regard et son émotion, ça m'a motivé à continuer pour d'autres personnes.

 

On oublie le pouvoir des fleurs et ce que cela procure d’en recevoir. Les visages s'illuminent quand les personnes reçoivent des fleurs et quand ils se rendent compte que ce sont des fleurs spéciales et uniques, cela prend une dimension bien supérieure.


Enfin, je trouve que c’est tellement plus poétique de transformer des affaires vouées à rester dans un placard ou à la déchetterie en fleurs que l’on expose chez soi, plutôt qu’en objet utilitaire comme un sac que l’on va traîner et qui va s’abimer avec le temps.



D’une certaine manière, j’ai l’impression que tes créations deviennent un substitut au langage, qu’elles expriment ce qu’on n’arrive pas toujours à dire avec des mots. Comment tes créations jouent-elles, selon toi, ce rôle de substitut au langage pour exprimer ce qui est parfois indicible ?

C’est toujours difficile de parler du deuil et de la mort. On a tendance à éviter d’en parler ou d’exprimer ses émotions ou on n’y arrive pas tout simplement.


Dans ma culture, les émotions sont toujours cachées et avec le temps j’ai compris que les activités artistiques permettaient de se libérer.


Quand je pense à mon père, il est venu en France dans les années 70 en période de guerre. Il n’était absolument pas dans un métier créatif, il a fait plusieurs métiers avant d’être aide-comptable. Cependant, je l’ai toujours vu prendre soin des livres, il m’a appris à renforcer les reliures des magazines qu’il aimait bien, il m’a appris à repriser des chaussettes. Il ne nous parlait pas de la guerre, mais il faisait des compositions avec des photos, qu’il mettait sous cadre.


Avec ma vision d’adulte je comprends seulement maintenant que ces cadres étaient une manière pour lui d'extérioriser.


Ma première cliente se débarrassait d’affaires et elle ne m’avait pas dit qu’une partie de ses affaires appartenait à son fils qu’elle avait perdu tragiquement. Son amie lui avait parlé de mon travail et son mari lui a dit qu’il était content qu’elle ait pu se détacher de ses affaires qui étaient là depuis presque 10 ans.


Je ne suis pas psy, mais dans un cas de deuil, je pense que faire l’effort de s’en détacher marque une étape d’aller de l’avant, d’honorer la mémoire de la personne et de prendre davantage conscience de son absence.


Quand on ne sait pas quoi offrir, on offre toujours des fleurs. On oublie que les fleurs ont un langage. J'ai alors commencé à développer les fleurs de naissance.


Chaque mois, une ou 2 fleurs sont associées au mois de naissance/anniversaire. Parfois certains clients ne savent pas quoi choisir parce qu'ils trouvent que toutes les fleurs sont belles. Partir sur une fleur de naissance pour offrir pour un anniversaire facilite le choix.


Il se trouve que la première fleur,  l'œillet,  celle de janvier était celle de mon père. Je ne m'étais jamais faite de fleurs pour moi et les avoir travaillées a été extrêmement difficile. J'ai du pleurer toute la journée, mais cela m'a mise dans un processus de transformation en le faisant.


J’imagine que les personnes qui te confient les tissus te confient aussi leur histoire, qu’elles ouvrent un peu leur cœur en même temps. Comment ressens-tu ces échanges ? Penses-tu que ce partage puisse avoir un effet thérapeutique, autant pour toi que pour celles qui viennent vers toi ?

Quand les personnes me confient leurs affaires, je les laisse me dire ce qu'elles représentent pour elles. Quand je travaillais dans le conseil, j'avais l'habitude de creuser et poser des questions. Mais dans les entretiens où il s'agit de personnes disparues, je préfère les laisser “libres” de me dire ce qu'ils veulent pour respecter leur deuil.


J'essaie de mettre en avant les petits détails qu'elles me donnent. Ma dernière cliente m'avait confié plusieurs vêtements dont un haut que sa mère avait réalisé pour sa sœur. J'ai décidé de conserver quelques traces de couture et elle était émue lorsque je les lui ai montrées. Elle ne pensait pas que j'avais retenu ce “détail” qui selon moi était important à souligner.


La créatrice fait main qui montre ses créations artisanales : des fleurs en tissu upcyclé
Sylvie avec le body transformé en Lys (Lys en vase et broche. La broche peut s’accrocher sur le lys en vase quand il n‘est pas porté). Le lys a été choisi parce que l’enfant s’appelle Lilly qui veut dire lys.

Elle m'avait commandé 3 roses pour l'anniversaire de son frère qui venait de Hong-Kong et il était donc loin de ses sœurs en France. Quand elle les a vu, elle voulait les garder 😅. Comme j'animais un atelier, je lui ai proposé de participer pour qu'elle puisse elle-même faire sa propre fleur, elle était ravie.


Je pense que ça a un effet thérapeutique autant sur moi que sur mes clients. Je me sens plus alignée avec ce que j’ai toujours voulu faire, de l’art qui fait du bien.


Quelqu'un m'a parlé de "connexion” avec sa famille et quelqu'un d'autre m'a dit que ce sont des fleurs avec une âme. Parfois, quand je me sens morose, je regarde les fleurs de mon père ou j'en porte une de mon père ou de ma fille.


Faire le processus de changer un vêtement dans une autre forme permet de lâcher prise tout en rendant hommage à la personne.


Même sur des vêtements de nouveau né, cela marque une nouvelle étape, le deuil du petit bébé et de prendre conscience que l'enfant grandit.



Tu es souvent en contact avec des morceaux de vie très intimes, parfois marqués par le deuil, l’absence, ou des blessures profondes. Comment fais-tu pour ne pas te laisser envahir par toute cette émotion ?

Une étiquette réalisée pour accueillir une fleur en tissu fait main bleu

C’est toujours difficile pour moi de faire le premier coup de ciseaux et de couper un bout de tissu, surtout quand il y a une histoire forte. Je relativise en me disant que la personne qui me l’a confiée me fait confiance et elle attend de moi que je le transforme, alors j’apporte tout le soin et le respect qu’il se doit sur ces tissus.


Même s’il y a des trous ou des tâches, surtout sur des affaires d’enfants, je me dis que c’est tout simplement des marques de la vie. Parfois d’ailleurs, ces accidents sont sublimés dans une fleur.


Une cliente m’a confié des affaires et en voulant les laver, une d’elle a déteint et a coloré une autre. Cela a apporté une homogénéité colorée dans l’ensemble du bouquet familial.



Quelle est la chose la plus précieuse que tu as comprise sur les gens et sur toi, grâce aux histoires qu’ils te confient avec leurs vêtements ?

J’ai toujours été une confidente auprès de mes amis, et dans mon ancien métier, les personnes se confiaient facilement sur leur difficulté. Depuis que j’ai démarré ma nouvelle activité, j’ai compris que mon caractère empathique était une force et je gagne en estime de moi et en confiance.



Et pour finir, la question signature :  qu’est-ce que ça veut dire pour toi, cultiver ta singularité ?

Dans un monde standardisé où tout est ”lissé”, je pense qu’il est important de cultiver sa singularité pour se démarquer des autres et rester soi même.



Rédactrice : Priscillia de @bonjour_les_artisanes, formatrice Insta pour les créatrices fait main

Invitée : Sylvie de @vievie.fr, créatrice de fleurs éternelles upcyclées

12 commentaires


Invité
07 juil.

J'ai perdu une personne proche également

ça a été terribel encore aujourd'hui je ne sais pas comment je fais pour tenir

merci pour cettte article magnifique

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bonjourlesartisane
bonjourlesartisane
07 juil.
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Je suis navrée de lire ces mots... Je ne peux qu'imaginer la peine que tu dois ressentir et j'espère sincèrement que tu réussiras à surmonter cette épreuve difficile 🥺

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Isabelle
03 juil.

Quelle douceur et délicatesse dans le travail de cette créatrice !

Une très belle interview, j'aime beaucoup .

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bonjourlesartisane
bonjourlesartisane
07 juil.
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Oui, Sylvie met beaucoup d'âme et beaucoup de coeur dans chacune de ses créations :) Je te remercie Isabelle pour ton message, qui je suis sûre fera très plaisir à la créatrice :)

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Invité
30 juin

Je suis très impressionnée par ton travail de journaliste 😍 J'aimais déjà ta manière de communiquer, mais là c'est incroyable on sent tellement ta sincérité dans tes questions...

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bonjourlesartisane
bonjourlesartisane
30 juin
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Oh merci beaucoup ça me touche énormément 🥰 merci merci merci

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Lila
30 juin

Super découverte merci

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bonjourlesartisane
bonjourlesartisane
30 juin
En réponse à

Je suis contente d'avoir pu te faire découvrir cette superbe créatrice de fleur en tissu :)

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Anissa.H
30 juin

C'est magnifique ce qu'elle fait et elle a l'air d'être une personne magnifique. C'est de loin le plus jolie focus d'artisane que j'ai lu

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bonjourlesartisane
bonjourlesartisane
30 juin
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Wahou mais quel magnifique compliment 😍 ça me touche profondément et je pense que ça fera très plaisir à la créatrice :) Merci d'avoir pris le temps de lire l'article et d'avoir déposé un avis précieux 🥰

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