Dans l’atelier de Jenn : une créatrice de bijoux féeriques, guidée par sa sensibilité et son amour du vivant

En proposant ces interviews pour mieux vous connaître, je ne m'attendais pas à trouver des réponses sur mon Pourquoi. Avec Jennifer, quelque chose s’est passé. Ses mots ont réveillé une émotion familière, un écho que beaucoup de créatrices connaissent : créer, c’est s’exprimer, se retrouver et parfois 'est aussi fuir la réalité. Trouver un refuge.

Dans cet échange, on parle d’intuition, de résilience, de cette force qui pousse à créer malgré tout. Une conversation sincère, qui, peut-être, réveillera aussi chez vous des souvenirs, des envies, ou un peu de votre propre Pourquoi.

Pour commencer, je te propose de te présenter de la manière dont tu le souhaites ?  Qui est Jenn ? Qui se cache derrière ces bijoux féeriques, peuplés de libellules, de fleurs et de champignons ?

J’ai toujours du mal à parler de moi, une première question pas si facile pour moi. Je dirais simplement que je m’appelle Jennifer, bientôt 40 ans, maman de 2 enfants. 

J’ai passé presque 10 ans à Lille, je suis originaire d’une petite ville du Pas de Calais, et j’y suis revenue. J’ai aimé certains aspects de la vie en ville, mais ma place est à la campagne. J’adore être au calme et pouvoir profiter de la nature !! Observer la vie dehors, c’est d’un grand apaisement pour moi qui suis de nature plutôt anxieuse et je n’ai pas une grande résistance au stress. J’ai toujours eu des activités artistiques dans ma vie, apprises de manière principalement autonome, dessins, peinture, photographie (que j’ai exercée plusieurs années en professionnelle), et maintenant création de bijoux.

Tes bijoux ont quelque chose à la fois de l’herbier et du fossile. Tu te sens plus cueilleuse du présent ou archéologue du vivant ?

Je trouve cette question amusante, je n’avais pas pensé à l’aspect fossile dans mes créations, et j’adore avoir ton point de vue et ton ressenti ! Très intéressant.

Pour ma part je dirais cueilleuse du vivant, mais effectivement il a sûrement une envie de “figer” la nature.

Je pratique la photographie depuis presque 15 ans, et ce que j’aime dans la photo c’est justement le fait de capturer et figer un instant, un moment, de le capter, comme pour arrêter le temps, pour le conserver et le faire durer longtemps. Il y a donc probablement un mélange des deux chez moi. Observer et figer.

Je me demande quand a commencé ta fascination pour ces petites merveilles du quotidien ? Les pétales fragiles, les insectes légers, les formes discrètes de la nature…

Ces petits détails, souvent invisibles aux âmes pressées, à celles qui ne prennent pas le temps de contempler.

C’est quelque chose de tout à fait naturel chez moi, qui fait partie de moi, de ma vie, et que je fais sans m’en rendre compte.

Depuis quelques années, on parle de plus en plus d'hypersensibilité. Je m’y retrouve énormément. Et de m'arrêter sur tous ces petits détails, et être capable de s’émerveiller de tout fait partie des traits de personnalité des hypersensibles. Je suis comme ça depuis toujours tout simplement.

Cela m’a valu d'être souvent moquée et exclue dans l’enfance, toujours un peu dans la lune, dans les nuages, différente, à part.

J’ai toujours été un peu une originale, j’ai dépensé énormément d’énergie toute ma vie pour m’adapter et être acceptée. Pour finalement me rendre compte que finalement j’ai le droit d’être différente et d’être juste moi.

La vie est courte ! Cet été je fêterais mes 39 ans, déja ! Dans ma tête je ne les ai pas du tout, et c’est banal à dire, mais le temps passe si vite !

Pourquoi perdre son temps à chercher à être ce que nous ne sommes pas ? J’assume mon côté rêveuse, c’est une façon de fuir, parfois, la dureté de la réalité. Je suis toujours complètement absorbée et fascinée par les mondes fantastiques.

Je peux regarder inlassablement certains films comme le Seigneur des Anneaux. J’adore les univers de fées, de magie et d’elfes.

On ressent aussi une vraie forme de lenteur dans ton travail. Comme si tu choisissais de créer à contre-courant, loin de la vitesse et de la production effrénée. Est-ce que ce rythme a pour toi un sens particulier ? Une invitation à ralentir, à se reconnecter à l’essentiel ?

C’est à la fois une volonté, mais aussi une contrainte dans ma vie actuelle. J’ai découvert sur Instagram des créatrices qui ont fait ce choix du “slow business”, et qui m’ont permise de découvrir un modèle d’entrepreneuriat différent. Où il est possible de produire de manière raisonnée, et d’en vivre. De remettre au centre le côté artisanal, des belles choses qui nécessitent du temps et de l’expérience.

Je me dis que c’est un modèle possible. J’aime la vie simple, j’aime réfléchir à ce que j’achète et raisonner mes dépenses. Cela n’a pas toujours été le cas, mais à une époque où je m’achetais des vêtements, chaussures ou sacs de manière un peu “compulsive”, cela ne me rendait pas heureuse. Cela ne m'apportait qu’une satisfaction éphémère.

Alors qu’investir dans des pièces que l’on pourra garder longtemps, hors des tendances du moment, qui ont une âme et une histoire, pour moi, c’est toute autre chose.

Ensuite il s’agit donc, à ce jour, également d’une contrainte de vie, car j’ai 2 jeunes enfants, un conjoint très pris par le travail, et j’ai moi même une activité dans le salariat à temps partiel. C’est donc un vrai défi de jongler avec toutes mes casquettes ! Parfois je me dis que c’est de la folie que d’essayer de développer mon entreprise, mais je m’accroche !!

Tu travailles une matière très particulière, la pâte polymère, qui est à la fois ludique et pleine de possibilités. Pourquoi ce choix ? Qu’est-ce qu’elle te permet d’exprimer que d’autres matériaux n’auraient pas su dire ? Qu’est-ce qu’elle raconte de toi et de ta façon de voir le monde ?

Je ne saurais pas dire, je pense, ce que cela raconte de moi, mais j’ai fait ce choix car c’est en fait une matière qui reste accessible, pour la technique, et pour l’aspect financier, car on peut démarrer avec assez peu de matériel. Il est possible de la travailler en étant chez soi, avec un “coin” d’une pièce dédié pour y ranger le matériel.

Ça ne prend pas forcément beaucoup de place. Pas besoin d’un atelier spécifique ou de gros investissements. J’ai acheté du matériel au fur à mesure, un peu chaque mois. Tout en apprenant et en perfectionnant ma technique.

Ensuite, c’est une matière qui permet beaucoup en terme de créativité, il est possible de créer toutes sortes de formes, d’effets, de jouer avec les couleurs. Et c’est une matière très légère et résistante. Donc, parfaite pour des bijoux qui soient créatifs et originaux.

Et ce que je préfère c’est de réaliser de petits détails, de fleurs, de feuilles. Même si c’est une des parties les plus difficiles. Je dirais finalement que j’aime ce matériau pour sa variété de couleurs, ses possibilités quasi infinies, qui permettent une grande liberté de créativité !

Qu’est-ce que tu souhaites transmettre à travers des créations ? Que veux-tu que les gens ressentent quand ils portent tes créations ?

Après mon premier enfant, j’ai vécu un grand bouleversement de vie, tous ces changements m’ont perturbée, et je me suis oubliée et mise de côté pour mon enfant. C’est quelque chose qui arrive très souvent.

Notre cerveau est comme programmé pour que l’on se focalise avant tout sur la survie de ce petit être qui dépend de nous. Mais je pense qu’il faut aussi être bien soi-même pour prendre mieux soin des autres, mais surtout se sentir mieux tout court, c’est un peu la base.

Et pour l’arrivée de ma fille je savais que je ne devais pas complètement m’oublier, essayer de garder même des tout petits moments, pour soi. Des soins de visage, un vêtement dans lequel on se sent mise en valeur, ça peut être des petits trucs simples, mais essentiels pour rester confiante, et booster notre bien-être. C’est essentiel de penser aussi un peu à soi.

Et j’ai envie que mes bijoux apportent ce petit boost à soi-même. Je n’ai jamais eu vraiment confiance en moi, et j’ai envie que mes créations, finalement, participent à booster la confiance en soi, avec leurs jolies couleurs, leur originalité et leur touche de poésie et de féérie. Peut-être pour d’autres femmes, qui, comme moi, ont besoin d’un peu de réconfort. Et aussi d’un peu de couleur et de magie dans un quotidien trop uniformisé et “triste”. Triste dans le sens du manque de couleurs et d’originalité ou de nos jours ça tend principalement vers la production en masse et le profit. Chacun de mes bijoux est fabriqué avec un esprit d’art.

Tu proposes aussi des bijoux d’un tout autre genre, en argent, avec un style complètement différent. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’explorer cette nouvelle voie ?

A vrai dire j’ai déjà eu, il y a quelques années, une boutique en ligne où je proposais principalement des bijoux en argent. J’avais envie de garder cette offre sur ma boutique actuelle.

Même si ce ne sont pas des bijoux que je crée, mais que je choisis avec soin malgré tout. J’aime aussi les bijoux en argent, car ils sont durables, intemporels. Et si on y regarde bien, les bijoux que je propose (qui sont encore en toute petite quantité) tournent aussi autour du vivant, sur des symboliques de nature et de ce qui nous entoure. Le végétal, les petits animaux, des étoiles…

 

Comment est-ce que ton style personnel évolue avec ces deux collections si distinctes ? Est-ce que ce changement reflète quelque chose qui bouge dans ton monde intérieur, dans ta manière de voir ou ressentir les choses ?

Comme répondu juste au-dessus, pour moi on garde le lien entre les collections avec l’aspect “nature et monde du vivant”. Je devrais aussi bientôt ajouter des bijoux en perles, je ne suis pas du genre à “m’enfermer” dans une seule case. J’explore ce qui m’attire et je travaille actuellement à faire en sorte de maintenir malgré tout, une cohérence dans ce que je propose.

Un aspect un peu chic, délicat, personnalisable, qui fasse appel aux émotions, à une esthétique visuelle.

Et pour finir, qu’est-ce que ça veut dire pour toi, cultiver ta singularité ?

C’est une vaste question, sur laquelle, pour moi, il serait facile de disserter sur plusieurs pages.

Je dirais que, comme je me suis toujours sentie à part, j’ai passé beaucoup de temps à essayer de m’adapter, de m'inclure, sans jamais vraiment y arriver.

Enfin si en partie, puisque je mène une vie assez simple et courante finalement. Mais je veux aussi rester moi-même. Nous vivons dans une société ou le jugement est de plus en plus présent, trop présent !

On juge tout et n'importe quoi à tout va. Alors, ce n’est pas facile, déjà de savoir qui nous sommes, c’est peut être même la quête de toute une vie.

Avec le temps, on peut faire le choix d’apprendre à mieux s’écouter, mieux se connaître. Et assumer nos envies, nos choix. J’adore par exemple me balader dans des événements autour du thème médiéval, fantastique. Et il y en a de plus en plus, pour mon plus grand bonheur. Dans ce genre d’endroits, j’ai l’impression qu’on peut exprimer des choses, les gens portent des tenues, accessoires ou maquillages de multiples genres, et j’ai l’impression qu' il y a plus de libertés d’expression de soi finalement, que dans la vie de tous les jours qui est assez normée…

Ne serait-ce que les codes vestimentaires propres à beaucoup de professions par exemple. Dans ce genre d’évènement on s’évade. Pour mon esprit un peu fantasque c’est le bonheur !

Mon fils est un peu comme moi, il a aussi cette grande sensibilité, et a du mal à faire face au jugement, qu’il subit déjà en primaire… Alors si dès l'enfance on se fait brider, imaginons comment nous arrivons à l’âge adulte.

Pour moi cultiver sa singularité, c’est explorer différentes choses, pour se connaître, connaître nos goûts, nos envies, être ouvert d’esprit, conserver cette part de l’enfance ou l’on peut s'émerveiller de toutes sortes de choses. Oser être “différent” ne pas toujours suivre le mouvements et les “dictats” de société, explorer nos propres pensées et réflexions.

Comme je l’ai dit plus haut, nous faisons face à de plus en plus d'uniformisation de toutes parts, cultiver sa singularité c’est oser la différence, oser ce qui nous fait envie. Pas en fonction de notre âge, ou de notre “statut” dans la société, où des attentes d'ailleurs, en général, de cette société.

Rédactrice : Priscillia de @bonjour_les_artisanes, formatrice Insta pour les créatrices fait main

Invitée : Jennifer @jenn_vie_creative, créatrice de bijoux féeriques